samedi 4 mai 2013

Pourquoi Haïti est-elle si pauvre?

A mon tour, aujourd'hui, de répondre à cette question de façon concise, sans fla-fla : pourquoi Haïti est-elle si pauvre? Parce que l'esprit de la majorité d'entr'eux-nous est si pauvre qu'on ne fait que de la récitation et pas de la créativité. Nous sommes enfermés dans une prison mentale qui nous empêche de voir, même pas la p'tite Sentaniz dans les grands livres qu'on se plaise à réciter à satiété, comme l'a si bien mentionné Maurice Sixto dans ses observations sociologiques d'Haïti. Demande à un Haïtien de te faire la critique d'un texte, la première, et parfois la seule et unique remarque qu'il te gargarise, c'est la forme, donc les erreurs linguistiques ou la beauté ou non du texte, selon lui. La deuxième, suivant le niveau de scolarité de cette personne, c'est si tu fais étalage de tes connaissances par tes citations ou reprendre des idées des grands maitres. Si ces deux premières conditions sont remplies, tu deviens un lokobasiye, un intellectuel de haut niveau. Le troisième niveau de lecture l'intéresse peu, car toutes propositions qui ne sont pas, tout d'une pièce, dans les grands ouvrages, sont hérétiques, ce qui te met à l'index, donc tu ne mérites pas ou plus de considération. Par exemple, les peintres naïfs qu'on honore aujourd'hui seront encore dans l'ombre sans le peintre et professeur américain Dewitt Peters qui a créé une école dédiée à cette peinture en 1944. Il ne va pas sans dire les préjugés face à ces peintres par l'intelligentsia haïtienne de l'époque, car ce sont tous des gens du pays réel, des gwozoteye.

Lyonel Trouillot, aujourd’hui, qu’on glorifie, parce que le blanc lui a mis sur un piédestal, a été méprisé, au début de ses premières armes dans l’écriture à la fin des années 70. Comme l’a mentionné l’auteur de La belle amour humaine, dans le Nouvelliste,«De Depale (1979) à aujourd’hui. Des gens qui me traitaient hier de bon à rien me saluent aujourd’hui en disant «Monsieur l’écrivain»*.Cet énième exemple est encore une preuve que l’ouverture d’esprit est amnésique dans ce pays. Pourquoi devrons-nous attendre la consécration de l’étranger pour valoriser un des nôtres? Le dogmatisme de la pensée est notre prison mentale fondamentale. Toutes analyses scientifiques sont rejetées, on préfère les mots qui nous touchent les sens qu’à la rigueur de la problématique : Si notre indépendance nous a été donné par les esprits d’Afrique, qu’attendent-ils pour nous épargner de notre descente aux enfers, disait Manno Charlemagne dans une de ses chansons! J’ajouterais pourquoi ne secourent-ils pas l’Afrique elle-même!

Un nèg fò en Haïti est celui qui est capable de coller des citations les unes après les autres de façon cohérente. Cela s'appelle tout simplement des clichés. Si tu ne peux pas faire ça, tu viens de perdre ta place dans le monde de la pensée haïtienne. J'ai encore en tête, cet Haïtien, diplômé de Harvard, docteur en droit international, que des «intellectuels» haïtiens regardaient de haut parce que le pauvre bonhomme ne savait s'exprimer qu'en créole et qu'en anglais. Le français est donc la langue de passage obligé pour avoir accès à la notoriété. Ce type en avait tellement marre, qu'il a dû plier bagage et s'envoler vers les États-Unis. Ce n’est pas un hasard que les intellectuels avaient trouvé cette perle stérile pour analyser le duvaliérisme : fascisme du sous développement. Quelle découverte inopérante!

 L’après Duvalier, avec ses piétinements, est compréhensible aujourd’hui par la faiblesse de la majorité des thèses développées à l’époque. La confusion des genres est abasourdissante : la distinction du politique et du savant** est d’une opacité innommable. On ne sait pas quand l’intellectuel porte le chapeau du savant ou du politique. Vice versa. A force de confondre les gens, l’intellectuel finit par être confondu et confus. Cette maladie atteint, par effet d’entrainement, toutes les couches sociales. Comme les spéculateurs tronquent leur balance, le paysan en augmentent aussi artificiellement le poids de son café en y ajoutant des cailloux. Le duel des coquins devient une seconde nature. L’opposition à Duvalier était un ramassis de bon mas melanje ak move mas : produit d’un être incohérent, en l’occurrence Papa Doc, l’opposition regroupait de rejetons duvaliéristes, d’obscurantistes de toute sorte, d’honnêtes gens, de la racaille de tous poils, etc. Que vient faire le fascisme dans la caractérisation du duvaliérisme?

Dans un autre ordre d'idées, l'intellectuel haïtien, donc l'Haïtien en général, a horreur des débats. Tout débat devient l'occasion par excellence pour se lancer des injures. Jacques Barros a noté, à juste titre, dans son livre Haïti, de 1804 à nos jours , les débats d'injures qui se tenaient dans la presse haïtienne dans les années 60 et 70. Qu'en est-il aujourd'hui? Les choses ne se sont pas tellement améliorées. Quelques percées, par-ci par-là. Point. Les quelques occasions de débats entre intellectuels n'ont jamais amenés à épuiser le sujet, soit par volte-face ou par retrait tactique et sournois. Continuer un débat jusqu'à l'épuisement du sujet ne s'inscrit pas dans nos mœurs, comme les intellectuels en général, et les français en particulier, se plaisaient à le faire : à titre d'exemple, les débats incessants entre Raymond Aron et Jean-Paul Sartre ou ce dernier et Politzer; des débats reportés souventes fois à des dates et lieux différents. Le niveau d'un peuple n'est-il pas inversement proportionnel entre l'écart de l'ignorance du commun des mortels et la connaissance des intellectuels? Donc, plus les connaissances des intellectuels seraient élevées plus l'ignorance des premiers diminuerait. Vice versa.

 Par connaissance, j'entends la créativité, l’innovation. Les connaissances des livres sont des pas déjà franchis, ce qui importe c’est les taches à abattre qui sont stimulantes et honorables. Car l'intelligence et la créativité sont sœurs siamoises. Quand il arrive un évènement à un Haïtien, en général, peu importe son niveau d'éducation, la pensée mystique prend le dessus sur toutes les autres formes de pensées; la rationalité tant convoitée se perd dans la rhétorique et y reste. Des gens éduqués qui vont se faire niaiser par un houngan, ne font-ils pas pitié ou ne devraient-ils pas être le dindon de la farce, et le système d'éducation au banc des accusés?

Qu'un lettré puisse penser qu'il peut conquérir le cœur d’une femme par la magie ou qu'une lettrée pense pouvoir garder un homme avec des tuvoudras, n'est-ce pas une perte de temps, cette éducation archaïque? Si un être est incapable d'agir sur son milieu par la somme de ses connaissances, à quoi bon ça sert cette tête bien pleine? Un deuxième verbe à conjuguer à toutes les personnes et à tous les temps a été trouvé : c'est le verbe singer, suite au verbe encenser. C'est exactement ce que nous apprenne notre cher système d'éducation. Bien sûr, des produits de ce système vire de bord, mais ce n'est qu’une minorité tou zwit! Pour finir, se critiquer est la preuve d’un amour profond, et, dans ce cas qui concerne Haïti, l’amour de la Mère Patrie demande qu’on s’élève à la hauteur du moment. Le regard critique est le signe du refus d’accepter que la situation du pays se dégrade inexorablement.

*http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=116378
** Max Weber, Le savant et le politique
http://haiti-tribune.blogspot.com/2013/05/haiti-sortir-de-limpasse.html#.UZxFoZwoVJs
http://haiti-tribune.blogspot.com/2012/08/haiti-le-paradoxe-entre-la-volonte-et.html#.UabKjJyoEh0
http://haiti-tribune.blogspot.com/2013/02/problematique-haitienne-entraves-la.html

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