dimanche 5 janvier 2014

L’état de droit cessera-t-il un jour d’être un vœu pieux en Haïti?

Comme à l’accoutumée, je me fais toujours un point d’honneur de formuler à mes amis, à mes proches et à mes compatriotes mes vœux les meilleurs pour chaque nouvel an. Mais cela fait plus de deux semaines que je me questionnais si, oui ou non, je maintiendrais cette bonne habitude.
De prime à bord, je me suis dit que cela ne vaudrait absolument pas la peine. Plus les jours passent et plus ils se ressemblent, car ce sont les mêmes maux, les mêmes bévues et les mêmes visages qui déferlent la chronique dans le pays. Mais lorsque mes réflexions se sont convergées vers les quelque rares moments démocratiques, qui dénotent certaines vertus de l’application de l’état de droit, dont j’en suis témoin sous d’autres cieux, je me suis donc évertué à ne pas baisser les bras, car l’écriture est mon exutoire où je traduis en mots mes frustrations, mes déboires, mes douleurs, quand je pense aux comportements infâmes de nos hommes et femmes politique haïtiens, il y a des lustres.


La classe politique haïtienne est l’opprobre de notre chère patrie

Du fond de ma mémoire d’homme, pas un seul geste posé par nos politiciens ne reflèterait une volonté réelle d’instaurer l’état de droit démocratique dans le pays, qu’il s’agisse du gouvernement ou de l’opposition. Pourtant, ils se réclament tous des farouches combattants de l’âpre lutte pour l’instauration de la démocratie.

Sans avoir la prétention de me faire passer pour un expert en droit, l’établissement de l’état de droit démocratique, tant rêvé par le peuple haïtien, n’est pas une utopie. Il suffit, le plus simplement du monde, de respecter scrupuleusement les principes sacro-saints de la séparation et de l’indépendance des trois pouvoirs de l’état, agrémentés d’une bonne dose d’harmonie entre les branches, soutenus par une gestion administrative systémique et rigoureuse des institutions républicaines, pour garder le juste équilibre. En Haïti, nous sommes loin du compte. Mais il aura fallu qu'un jour que cela naisse quelque part.

Force est de constater que la classe politique haïtienne est, dans son ensemble, moribonde, à cause de son incapacité de planer au dessus des intérêts personnels et des différends pour se joindre à un projet commun de développement national. À mon avis, l’élite politique du pays s’est avérée, au fil des ans, un véritable goulot d’étranglement qui condamne les progrès du pays dans la voie du développement, même qu’elle feint de se livrer corps et âme dans la lutte pour l’instauration de l’état de droit démocratique. D’ailleurs, ces amateurs de la politique se font toujours complices des basses œuvres, des machinations politiques et des alliances douteuses. Bref, ils n’inspirent pas confiance à la nation haïtienne hagarde. Leur manque de grandeur d’âme, d’humilité et de patriotisme, envers ce peuple épris de justice sociale et de liberté, est manifestement palpable. C’est pourquoi, leur déficit de crédibilité est à un point tel qu’ils arrivent difficilement à mobiliser leurs propres partisans contre les dérives totalitaires du président Martelly.

Somme toute, l’orgueil et l’égocentrisme de nos chers politiciens les rendent très résistants aux changements. Ils s’abstiennent même de penser aux jeunes candidats potentiels pour assurer la relève dans leur parti, quand ils n’y seront plus. Tous ceux et celles qui sont passionnés de la politique et qui veulent y faire le saut n’ont d’autre choix que de faire cavalier seul. De ce fait, l’individualisme à outrance sur l’échiquier politique crée un magma d’impressions aux contours incertains. Le résultat est probant. Le pays se trouve confronté à une infinité de partis désorganisés et très peu représentatifs.

Le cas d’Haïti est-il atypique?

En Haïti, la culture des résultats ne préoccupe guère la société, démotivée par nos politiciens véreux qui s’en donnent allègrement et qui s’en foutent éperdument des réprobations des électeurs une fois élus. Faire de la démocratie et de l’état de droit leur cheval de bataille alors qu’ils s’imposent comme chef à vie de leur parti est contre la loi de nature. La société en a tellement assez de leur supercherie et de leur crétinisme que personne n’ose s’attarder sur l’utilité de leur existence. Par exemple, on devrait s’attendre à un geste moral et patriotique de tous ceux et celles qui ont représenté leur parti dans les dernières élections de tirer leur révérence, dans la perspective des prochaines joutes électorales. Oh que non! Au contraire, ils s’attèlent mordicus à leur rôle providentiel.

Cela me fait penser à un de mes proches qui vit en Haïti. Quand je lui faisais part de ma rage au cœur lors de la mort suspecte de l’honorable juge Jean Serge Joseph, j’étais éberlué de l’entendre dire tout de go et sans état d’âme que le juge devrait s’y attendre en acceptant le poste, car c’est la réalité haïtienne, a-t-il renchérit. C’est un raisonnement farfelu et avide de sens qui m’a beaucoup révolté. Mais après quelques jours d’intenses et profondes réflexions, j’ai finalement compris que pour mieux être au parfum des bienfaits de l’application de l’état de droit, il faut soit le vivre au moins une fois dans sa vie ou soit le voir comme un objectif à atteindre dans la vie d’un peuple. Servant de sujet de l’homme providentiel ou de la femme providentielle et du culte de la personnalité, il ne pourrait être autrement.


Le temps est venu de Joindre le geste à la parole une bonne fois pour toute

C’est au nom de l’indépendance des trois pouvoirs que le premier ministre canadien, Steven Harper, se retrouve aujourd’hui en plein cœur d’une controverse sur l’émission d’un chèque de 90 mille dollars par son Ex-Chef de cabinet, dont il continue à nier d’en avoir été informé. Embarrassé par le raffut de cette fuite, la classe politique fédérale parle déjà de démission probable du premier ministre, si les instances de contrôle du pouvoir réussissent enfin à prouver que le chef du gouvernement était bel et bien au courant du chèque. Tandis que plus près de nous, en Haïti, nos politiciens sont tous des intouchables. Même lorsqu'ils sont soupçonnés de crimes graves contre la société, la justice les regarde impuissante se déambuler dans les rues, en toute quiétude. Le cas des deux députés mastodontes inculpés dans le meurtre des policiers Jean Hertz Cayo et Walky Calixte, en est un illustre exemple parmi les nombreux scandales politico-judiciaires qui ont ponctué l’année 2013.

Qu’à cela ne tienne, nos dirigeants actuels, ou potentiels sont obsolètes et devront résolument accrocher leurs patins. Cédant sagement leur place à la jeunesse haïtienne, ils joindront le geste à la parole pour apporter du sang neuf dans la lutte de l’état de droit. Faute de quoi, ils continueront à contribuer au pourrissement de la situation socio-économique du pays. Ainsi, nos jeunes occuperont graduellement la ligne de front-le devant de la scène et nos politiciens ratés peuvent encore jouer un rôle de mentor auprès de ces derniers. Toutefois, la cause juste, noble, et universelle de l’établissement de la démocratie est hautement significative pour la nation haïtienne, donc il nous faut avoir un leadership éclairé, même s’il est en devenir, animé par une grandeur d’âme pour apporter une quote-part révélatrice dans la réussite de cette mission louable et patriotique, pour réussir enfin à jeter les bases d’une justice sociale en Haïti.

Que la nouvelle année 2014 soit une année décisive et riche en évènements nouveaux, où la classe politique s’amendera et se départira enfin de leur cécité patriotique pour prioriser les intérêts de la nation haïtienne.

Meilleurs vœux pour l’année 2014…

Denis Jules

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