Éditorial
Les vaches sacrées d’Haïti
Il existe un certain nombre de croyances qui ont la vie dure dans ce pays. Ce sont des tabous auxquels on n'ose y toucher sans se faire taxer de traite, d'antinational et même d'apatride. La vérité, c'est que cette attitude qui est le bouclier sournois de tous les maux du pays : le conservatisme, je dirais primaire, par ce qu'il est contre la modernité, telle la liberté individuelle, donc la liberté de pensée, le droit d'exprimer librement ses opinions, mais surtout de penser autrement, en dehors du carcan religieux, qu'il soit du vaudou ou du christianisme . Tout bien considéré, le terreau de la pensée magico-religieuse. On serre les rangs autour de cette conception, tout compte fait, abêtissante par ce qu'elle opère dans l'intérêt des élites d’annihiler toute forme de contestation de leurs privilèges : intellectuel, économique, social et politique. Mais, ces derniers temps, la réalité les rattrape, mue par des changements structurels sur lesquels elles n'ont aucune prise. La mondialisation y est pour quelque chose aussi avec les changements technologiques, dont l'internet et ses corollaires (WhatsApp, Facebook, etc.), conjuguée aux trente ans du duvaliérisme avec ses cortèges de décisions qui ont catapulté le pays dans l'inconnu avec la destruction de l'agriculture, dont les barrages sur le fleuve de l'Artibonite en 1976 et l'élimination des cochons créole ont fait entrer de force le pays dans un voyage sans destination faute de penseurs.
La pensée sclérosée
Comme le disait Jean Dominique, dans les années 60, la petite bourgeoisie de gauche rêvait de l'Artibonite comme la Sierra Maestra. Dans les années 70, j'ajouterai, elle rêvait de la révolution socialiste comme seule voie de la modernisation du pays, de façon sophistique. Des théories marxistes copiées sans aucune imagination fusaient de toutes parts. Pour cela, il fallait trouver un corpus imaginaire, sorti tout droit de l'esprit de nos poètes, romanciers, prestidigitateurs, en somme tous ceux qu'ils y avaient de sophistes dans ce pays. L'un écrivait un livre pour démontrer que la société haïtienne était féodale, l'autre que le régime en place, celui de Duvalier, père et fils, était fasciste. Allez donc savoir quelle était l'adéquation entre fascisme et féodalisme. L'anachronisme à son meilleur chevauchait nos plus belles plumes et intellectuels à la fois. Triste époque à y penser! Comme plusieurs articles dans des revues de l'époque où on disait que la pensée politique de Firmin était celui d'un bourgeois libéral. Mais que pouvait-il être d'autre! Marxiste alors?
Je finis par croire par les temps qui courent que la majorité de mes compatriotes veut bien que le pays change mais qu'il y a chez eux l'absence totale de connaissances procédurales et inductives. N'est-il pas un fait qu'il y a beaucoup d'agronomes dans le pays? Où sont-ils? Partout ailleurs, sauf sur le terrain, auprès des paysans ou sur leur ferme. On ne cultive pas chez le lettré chez nous la passion de mettre ses connaissances à son profit, encore moins au profit de la communauté. S'ils voudraient peut-être avoir une ferme comme on en voit au cinéma mais ils ne seraient pas prêts pour partir de zéro. Ils attendent dans ce cas un miracle, que les choses se mettent en place par elles-mêmes. Cette attitude, c'est exactement ce que nous dénotons chez nous dans la crise haïtienne, nous voulons, sans coup férir, que les choses se mettent en place sans verser une goutte de sueur. Les dieux tutélaires y pourvoiront sans doute...
A suivre.
Les vaches sacrées d’Haïti (suite)
La pensée sclérosée (suite)
Que la crise haïtienne soit symptomatique, sa compréhension par beaucoup est loin du compte. Et pourtant, l'occupation américaine a été la bougie d'allumage dans le sens que ce pays était bloqué de la tête aux pieds. Je sais que toute la littérature à ce sujet ou presque relève de l'émotion. Mettons les choses au claire, connaissez-vous un moment dans l'histoire de l'humanité où des puissances hégémoniques n'ont pas ratiboisé sur leur passage tout peuple qui manquait de cohésion ou n'avait pas pris le virage civilisationnel à temps? Rome, l'Empire d'Occident bien sûr, a été dépecé par les barbares à cause des luttes fratricides qui le minaient de l'intérieur - ce que l'Empire d'Orient n'a pas connu. Les civilisations de l'Égypte et de la Grèce ont connu le même sort mais pour des raisons semblables. Dans le cas Grec autant Égyptien, c'est le non renouvellement de la pensée qui a causé leur perte. A chaque fois que le poids des morts, pour reprendre Marx, c'est-à-dire la tradition, les coutumes, et j'en passe, hante inconsciemment les vivants, qu'il les paralysent, les anesthésient, point de salut pour l'avenir de cette entité. Sa décrépitude peut atteindre un niveau de recul dans l'ordre civilisationnel que personne oserait croire, sans l'apport de l'histoire, ce travail de mémoire, que tel peuple fut jadis le fleuron de son temps. Les civilisations africaines sont des exemples patents.
Cela veut-il dire pour autant qu'il faut glorifier, avaliser cette invasion? Loin de moi d'aller dans une telle direction. Une chose est sûre : il y a au moins deux moments que toute pensée dynamique doit prendre en compte, celui d'analyser une problématique sans parti-pris, et l'autre de diriger cette compréhension dans ses intérêts car il ne peut y avoir de compréhension que pour soi-même. Il y a toujours un niveau scientifique et un autre idéologique, ici prise dans le sens strictement de conviction. L'être humain est avant tout un animal politique, car son instinct de survie, sa reproduction déterminent ses projets et font de lui un soumis aux lois de sa nature. Quand on comprend que -je dirais, la chose en soi, c'est-à-dire la réalité dans ses tripes, la chose pour soi, donc nos projets, - le niveau de conscience de nos actions ne se subordonne plus aux humeurs du jour. En somme, on a la maîtrise de notre destinée.
Cela veut-il dire pour autant qu'il faut glorifier, avaliser cette invasion? Loin de moi d'aller dans une telle direction. Une chose est sûre : il y a au moins deux moments que toute pensée dynamique doit prendre en compte, celui d'analyser une problématique sans parti-pris, et l'autre de diriger cette compréhension dans ses intérêts car il ne peut y avoir de compréhension que pour soi-même. Il y a toujours un niveau scientifique et un autre idéologique, ici prise dans le sens strictement de conviction. L'être humain est avant tout un animal politique, car son instinct de survie, sa reproduction déterminent ses projets et font de lui un soumis aux lois de sa nature. Quand on comprend que -je dirais, la chose en soi, c'est-à-dire la réalité dans ses tripes, la chose pour soi, donc nos projets, - le niveau de conscience de nos actions ne se subordonne plus aux humeurs du jour. En somme, on a la maîtrise de notre destinée.
Inertie épistémique
Ce détour est apparemment une digression mais combien lumineuse pour faire ressortir les forces qui travaillent les sociétés. L'inertie n'est pas propre à l'Haïtien. Ce n'est pas en tant qu'Haïtien, être biologique, que se situe le problème proprement dit, mais Haïtien vu dans sa trajectoire historique et sociale. Bref, l'éducation cognitive, notre rapport aux choses de l'esprit. Pour illustrer tout ça je prendrai deux philosophes, l'un français l'autre slovène, dont Badiou et Zizek. Quand le premier répond à une question ou explique quelque chose son approche est abstrait (dans le sens conceptuel), tandis que le second irait chercher des exemples de tous les jours en les mettant rapports avec la réalité quotidienne pour faire découvrir leur paradoxe et symétrie. Au final, ils expliquent la même chose mais le second reconstruit la réalité avec toi pièces par pièces. En d'autres mots, il te démontre de quoi est fait tel ou tel concept. Badiou est parfait avec ceux qui comprennent déjà le travail du philosophe mais Zizek va chercher aussi ceux qui ne sont pas au beau fixe, qui voudraient être initiés à la base. Je suis donc persuadé que la meilleure méthode pédagogique est celle de Zizek dans le cas d'Haïti parce que dans une société où la vaste majorité de la population n'a jamais vraiment frotté avec les choses de l'esprit, et parmi ceux qu'on dise intellectuels, il n'y a que la minorité de cette minorité qui peut se targuer d'une proximité toute charnelle ou passionnelle avec la culture, il faut bien commencer par le commencement. Bref, il faut que les maîtres soient rééduqués afin qu'ils donnent le goût aux générations de demain d'être des hommes et des femmes qui auront leur entendement planché sur le problème de leur milieu de façon agissante avec les voies et moyens pour y remédier.
Il me semble que cela va de soi que la crise du pays est fondamentalement un problème cognitif qui nous empêche à agir mais avant tout à conceptualiser. Quand je parle d'éducabilité cognitive cela renvoie à notre interaction avec le monde extérieur, la perception de la réalité, et où et comment on se situe par rapport à lui. Aussi, la question fondamentale est la question de notre rapport avec la connaissance : à quoi sert-elle? Heuristique ou scolastique? Malheureusement, chez nous, les connaissances déclaratives, le m'as-tu-vu, priment sur l'heuristique. Prenons cette phrase toute anodine : le soleil se lève à l'Est. Si je vous dis que cette phrase est incohérente, qu'elle ne colle pas avec la réalité, que c'est une survivance de notre ignorance qu'on charrie comme vérité jusqu'à ce jour, me croiriez-vous? Je vois quelques sourcillements par-ci par-là. Premièrement, la terre tourne autour du soleil, la rotation de la terre fait en sorte qu'elle lui présente un de ses divers côtés à chaque 24 heures. Mais au fond il ne se couche ni se lève jamais. Nous avons appris à le regarder de notre position. Dictature du moi à faire passer un mensonge pour vérité. Deuxièmement, l'absurdité suprême selon laquelle l'Occident est l'héritière légitime de la Grèce. Ni Aristote ni Hérodote et d'autres ne se sont jamais identifiés à ce qu'on appelle aujourd'hui Occident. De plus, Aristote disait, qu'ils étaient des sauvages, ceux appelés Occidentaux aujourd'hui. D'ailleurs, d'après la mythologie, Europa, femme de Zeus dont on tire l'Europe, a été cherchée par celui-ci en Orient. De ces gens, Aristote disait qu'ils étaient fin d'esprit mais fainéants. Il faut donc conclure que les Grecs réunissaient la force et la finesse. Parti-pris?
A suivre...
https://haiti-tribune.blogspot.com/2016/07/le-nationalisme-demagogique-appel-au.html
https://haiti-tribune.blogspot.com/2015/08/grammaire-de-la-pensee-philosophique.html
https://haiti-tribune.blogspot.com/2015/09/grammaire-de-la-pensee-philosophique.html
https://haiti-tribune.blogspot.com/2014/12/la-maladie-sociale-commence-par-la-tete.html
https://haiti-tribune.blogspot.com/2013/02/problematique-haitienne-entraves-la.html
https://haiti-tribune.blogspot.com/2014/06/de-la-societe-civile-en-haiti.html
https://haiti-tribune.blogspot.com/2014/05/haiti-des-elites-malades-de-leur-culture.html
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