lundi 24 juillet 2017

Historique d'un mode de pensée sénile.

Ambivalence représentant le Cardinal
Chibly et le vèvè dans le vodou 
L'être humain aime bien se conforter des idées reçues, des lieux communs, bref des recettes toutes faites. Par expérience, je constate souvent si tu décides de changer la façon de faire ou de comprendre, tu as en général plus de 80% des gens qui s'y opposent grosso modo. Le reste, on y trouve des indifférents ou insouciants, qu'on peut estimer à 16%. Et le reste du reste, soit le 4% restant, plus de 3% qui est dans l'expectative. Et enfin, ce qui reste de tous les restes, les esprits dynamiques. Il ne faut surtout pas oublier que toutes ces catégories soient stratifiées, donc elles ne sont pas d'une homogénéité parfaite. Ainsi s'y retrouvent des sous-catégories. C'est donc un constat attesté partout, à la différence, dans les pays où les gens ont reçu une formation dépouillée de religiosité, l'ouverture d'esprit de cette frange les rend plus perméable aux idées nouvelles. L'exemple d'Einstein qui a trouvé un petit noyau de physiciens qui avalisait sa théorie et de Peter Higgs sur les bosons de Higgs qui paraissaient au début superflus mais qu'en 2012 la CERN (L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire) a confirmé cette théorie émise en 1964 par Higgs et deux autres chercheurs parce qu'il y avait d'esprits ouverts qui regardaient cette proposition sans oeillères. Ce jour-là, comme l'expliquait Higgs, il passait d'un pur inconnu à la stature de vedette, donc invité à toutes sortes de réunion, même mondaines.

Une clarification s'impose ici. En Haiti ou dans la diaspora, il y en a de ces gens mais ils ne constituent pas une masse critique. C'est pour cela, je parle de façon globale, car le système d'éducation nous a plié à un mode de pensée qui est la typologie de l'haitianité. Je dirais même haitianure ou haitiure. Chaque peuple a ses démons et ses anges; ces défauts et ces qualités. Il charrie ses vieux réflexes ancestraux dans ces gènes que seule une éducation taillée sur mesure, à l'ère du temps, peut obvier pour l'essentiel ce fardeau mental. Les Français ont un sens inné mais cultivé pour l'histoire et les idées utopiques; les Britanniques pour l'économie; les Allemands pour la philosophie; les Chinois la patience; Les Noirs, les Arabes pour le partage, et un côté même ingénu, surtout chez les premiers; les Hindous le vertige des nombres. Pourquoi ne faut-il pas tirer avantage l'un de l'autre. Vice versa. Sachant qu'aucune civilisation ne peut se targuer d'être de la génération spontanée, chaque civilisation étant un passage obligé aux suivantes. Sans l'Égypte pas de Grèce; Sans les civilisations mésopotamiennes pas d'Égypte, etc.

Pour faire avancer la compréhension des choses, il faut que l'esprit des gens soit façonné à réfléchir en termes scientifiques. C'est donc la cohérence d'une proposition qui prévaut, fusse-t-elle en biais avec les idées généralement acceptées. Ainsi, avec beaucoup de patience et de rigueur, on peut atteindre un petit noyau de personnes qui feront boules de neige. Mais si la pensée est formée à coup de vérités absolues, à des préceptes, l'avancement des connaissances sera nul. Ce qui rend les pays sous-développés, ce ne n'est pas plus l'ingérence des grandes puissances que l'infertilité de la pensée. Le sous-développement va bien avec les bondieuseries et toutes les formes de pensée connexe, dont la pensée magique, qui regroupe toutes les propositions fantaisistes, par son côté chimérique, qui ne vise qu'à émettre des idées saugrenues, farfelues en dehors de tous schèmes scientifiques. Le jeu démagogique entre l'acceptation ou le rejet de la pensée occidentale a atteint son summum dans le courant de la négritude qui, par son ignorance de l'histoire, dénote cette ambivalence socialisée, pour reprendre Éric Bourguignon dans Haiti et l'ambivalence socialisée: une reconsidération. 

J'ai toujours été frustré d'être incapable de trouver une réflexion profonde chez les auteurs haïtiens. Ils sont très rares ceux qui amènent du neuf dans la problématique haïtienne. J'ai toujours eu la sensation d'égrener un chapelet de bons sentiments en boucle ou d'invectives contre tel ou tel autre groupe de la société, les Bourgeois, les Mulâtres, les Arabes, etc. Plus l'auteur est réputé, plus il ne dit rien de sérieux parce que dans ce pays, pour ne pas froiser les gens, il vaut mieux leur dire ceux qu'ils veulent entendre. Il ne faut pas troubler leurs certitudes, sinon tu monteras sur du récif. Leur opposition sera farouche parce que tu as osé déranger cette harmonie jalousement aménagée. En aparté, en aparté seulement, quelques-uns exprimeront leurs bémols sur les idées reçues, mais jamais en public. Si d'aventure ils le font, cela restera au niveau du verbe. Cela ne devrait pas être une conviction. Voilà un élément important de ce qui caractérise la mentalité de commérage, de ragot et de boniment. Bref la falsification de la réalité.

Le libre arbitre, la pensée autonome, n'ayant pas été développé dans son parcours académique, le lettré est incapable de s'en sortir du carcan de la pensée orthodoxe. Cette pensée se manifeste par prendre des citations pour des arguments, par se référer à des sommités pour arguments, etc. Du même souffle, il ne pourrait y avoir d'échange puisque les gens évaluent la force d'une idée par des citations et non par la démonstration qui met en exergue le rapport logique entre les choses. Après une citation, le locuteur met fin au débat. La messe est dite. Et pourtant, ce n'est que le début de la discussion ou débat. A moins que l'interlocuteur ne sorte une citation qui infirme la précédente. Mais cela n'ira pas au-delà de la sémantique, et souvent les injures pleuvent entre les protagonistes. Car à cette étape les choses deviennent corsées, donc il fallait étudier à priori le noeud du problème pour avancer logiquement dans sa démonstration avec une patience toute marathonienne. J'ai constaté aussi que l'assistance penchera sans discernement du côté de celui ou celle qui touche ses cordes sensibles, par son éloquence, sa maitrise de plusieurs citations, etc. Donc la forme de dialogue qui colle bien chez nous est le débat car plus permissif aux idées spécieuses.

Il me semble qu'il est plus facile de trouver chez un auteur de moindre réputation quelques idées neuves. En lisant la présociologie haïtienne de René A. Saint-Louis, j'ai découvert des auteurs qui ont amené des idées qui sont en complète rupture avec la conception générale de la majorité des auteurs de ce pays. Notre rapport aux livres et aux savoirs ne sont que pour la galerie, pour étaler son savoir, quand bien même il ne participe à la compréhension de la problématique. Une dame, qui se passe de présentation sur la scène intellectuelle, a proposé le Konbitisme pour sortir Haiti de son pétrin. Proposition qui ne mérite même pas une attention, même furtive. Il y a absence totale de compréhension d'un système économique, voire des questions de mode de production dominante, de rapport holistique entre l'histoire, la politique, le politique, la sociologie. Bref sociétal. 

Après la chute de Duvalier, le livre qui était sur toutes les lèvres, c'était Comprendre Haiti de Laennec Hurbon. J'avoue que j'étais du nombre. Avec le recul, je me demande en quoi ce livre nous faisait comprendre Haiti. A vrai dire c'était un exercice littéraire. Sans plus ni moins. Adressé à des étrangers, peut-être qu'il serait utile. A relire ce machin, je me demande qu'y avait-il de si ingénieux dedans pour qu'il y eût autant de tapage. Aujourd'hui, j'ai bien compris que le côté littéraire de la chose m'avait plus séduit que la rigueur scientifique de la démonstration.

L'autre exemple qui fait montre notre rapport dilettante aux choses du savoir, c'est le cas de Leslie Delatour. Formé à l'école des Chicago Boys charriant les idées de l'économiste américain Milton Friedman, Delatour a administré un remède de cheval à l'économie haïtienne, du copie-collé de son mentor au pays. Sans aucun égard à la particularité de l'économie, de la société haitienne en général. La théorie universelle des Chicago Boys serait bonne pour toutes les maladies. Et pourtant toute théorie économique doit être enclavée dans une réflexion globale de la société. L'économie sert avant tout à la subsistance de l'Homme. Même quand elle a pris son sens second lié au marché, à l'échange, elle ne peut faire abstraction du substrat social, politique et historique. Voilà peut-être pourquoi tous les prix Nobel d'économie depuis les années 80 tiennent compte de ses paramètres dans leurs analyses...


Ernst Jean Poitevien

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