Lettre ouverte au ministre Pierre-Richard Casimir

Montréal, le 27 octobre 2012
Objet : Nos positions divergentes sur le choléra en Haïti _____________________________________________
Monsieur le ministre,

Les signataires de la présente lettre ouverte ont eu l’occasion de vous fréquenter alors que vous étiez consul général d’Haïti à Montréal pendant plusieurs années. D’abord, permettez-nous de vous présenter nos plus vives félicitations pour les nouvelles fonctions auxquelles vous avez été appelé en Haïti. Puisse votre passage à la tête de la chancellerie haïtienne changer l’image floue de la diplomatie haïtienne!

À ce propos, que ce soit à titre de journaliste, d’intellectuel ou de directeur de la seule station de radio haïtienne à Montréal, CPAM 1610 AM, nous avons tous vanté vos qualités et aptitudes d’homme d’esprit ouvert et qui a rempli ses fonctions avec une rare compétence. Vous avez, en effet, changé nos rapports avec le consulat général d’Haïti à Montréal par votre savoir-faire. Aussi, quand nous avons appris votre décision comme ministre de ne pas poursuivre l’ONU pour ses responsabilités dans l’éclosion et la propagation de l’épidémie du  choléra en Haïti, nous sommes-nous posé la question suivante : si le gouvernement haïtien abandonne le peuple à son sort, qui va le défendre? Or, c’est parce que l’impact d’une telle décision dépasse le cadre amical que nous avons décidé de ne pas rédiger un simple courriel à un ami, mais d’étaler au grand jour la problématique de la manière suivante.

Monsieur le ministre, nous n’avons pas l’intention de reprendre ici ce que tout le monde sait déjà de la situation qui nous préoccupe, à savoir que le choléra avait disparu du territoire de la République d’Haïti depuis plus de cent ans, et que la résurgence de cette épidémie coïncide avec la venue dans l’Artibonite d’un bataillon de Casques bleus népalais de l’ONU. Or, ce qui est digne de mention, c’est qu’une enquête diligentée sur le terrain a révélé que la rivière Meye, qui se jette dans le fleuve Artibonite, a été contaminée par des excréments issus des latrines de ce bataillon de la Minustah.

De plus, toutes les études, y compris celle commandée par l’ONU sur la question, estiment que la souche de l’épidémie est asiatique, voire népalaise. Or, il est avéré que les premiers cas de diarrhée sont apparus dans ce campement des Népalais. Il faut noter aussi que votre décision fait fi des conclusions de chercheurs internationaux des États-Unis, du Népal et du Danemark qui ont affirmé, après analyses, que ce sont les Casques bleus de l’ONU qui ont propagé la maladie en Haïti.
Par ailleurs, la docteure Danielle Lantagne, celle-là même qui a été employée en 2011 par l’ONU comme l'un des plus grands experts mondiaux du choléra, vient, à la lumière de nouvelles preuves scientifiques, de modifier significativement sa conclusion pour affirmer que la source de l’épidémie de choléra en Haïti provient du camp des Népalais de Mirebalais.

Monsieur le ministre, l’avocat chevronné que vous êtes sait très bien que pour entamer des procédures en réparation contre une institution ou un individu avec des chances de succès, il suffit d’établir la faute du défendeur, un préjudice subi par le demandeur et un lien causal entre la faute et le préjudice. Nous sommes donc en droit civil, nous ne parlons pas d’une preuve hors de tout doute raisonnable. Il s’agit ici d’une faute grave de la Minustah qui a fait plus de 10 000 victimes; ce qui fait dire aux spécialistes qu’il s’agit de la plus grande épidémie de choléra de ces dernières années.  Or, ces victimes  sont atteintes de la maladie par la négligence de l’ONU.

Paradoxalement, pendant que vous lancez la serviette dans ce dossier, des pays amis comme Cuba, des ONG comme UN WATCH demandent à l’ONU de s’excuser auprès du peuple haïtien et de dédommager les victimes du choléra qu’elle nous a importé.

Par ailleurs, les signataires de la présente ont rencontré un haut responsable de l’ONU, dont nous voulons taire le nom pour l’instant. Interrogé sur la question, il nous a fait part de l’intention de son institution de dédommager les familles des victimes. Le problème pour lui consiste à définir un mode opératoire juste et équitable, compte tenu des difficultés de savoir qui sont morts de choléra et quels sont les ayants droit dans chaque cas.

Dans ces circonstances, les autorités haïtiennes ne doivent pas abandonner les victimes à leur sort. Au contraire, elles ont pour devoir de les accompagner dans leurs démarches auprès de l’ONU. On dit que l’ONU est en Haïti pour aider à la stabilisation d’Haïti. Mais ce statut lui confère-t-il le droit de semer le deuil dans notre pays? En outre, faut-il comprendre qu’en accueillant cette mission les Haïtiens assument tous les risques que comporte une pareille mission, incluant celui de se faire tuer? La réponse s’impose d’elle-même. Au contraire, toute mission qui ne protège pas la vie des Haïtiens est contre-productive pour Haïti.

En terminant, Monsieur le ministre, nous savons que les missions étrangères ne changeront pas le sort des Haïtiens. Nous en avons eu depuis la colonie et jusqu’à aujourd’hui. Un constat demeure : la situation des Haïtiens n’a pas cessé de se dégrader. Force est de conclure qu’il n’y a que les Haïtiens qui doivent faire quelque chose pour eux-mêmes. Pourtant, cette dernière phrase restera toujours une théorie tant et aussi longtemps que nous ne pouvons pas nous faire confiance mutuellement. Autrement, les masses haïtiennes auront toujours raison de ne pas avoir confiance dans leurs élites, puisqu’elles ont toujours été trahies, exploitées et bafouées par ces dernières. Pourtant, la situation est particulièrement triste, lorsque les masses semblent accorder plus de confiance aux étrangers qu’aux nationaux. Nous avons vu des Haïtiens se plaindre aux étrangers venus leur apporter main-forte, lors du tremblement de terre de 2010, de l’attitude de leur président face à eux. Aussi, est-il encore temps pour le gouvernement de se ressaisir. S’il le fait, toute la communauté haïtienne (tant de l’intérieur que de l’extérieur) le supportera. Il en va d’abord de la survie des familles des victimes, et ensuite du respect de tous les Haïtiens.

Aussi, par la présente, les soussignés mettent formellement en demeure l'État haïtien d'engager des procédures en justice contre l'ONU dans le but d'indemniser les familles des victimes du choléra. De plus, l'État haïtien est tenu d'appuyer et éventuellement de regrouper toutes initiatives individuelles ou de groupes visant ce but. Pour ce faire, un délai ne dépassant pas la fin du mois de novembre est accordé à l'administration Martelly-Lamothe. Passé ce délai, nous n'aurons pas d'autre choix que d'intenter une action en justice contre l'État haïtien qui aurait délibérément choisi de ne pas assister une population démunie face à une force d'occupation étrangère.

Veuillez agir en conséquence!__________________________________________

Me Jean Ernest Pierre
avocat, ingénieur de formation
journaliste
analyste politique
PDG de CPAM
Radio Union.Com
Montréal
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Mr. Ismael Rebert
Économiste, analyste politique,
ingénieur de formation
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Docteur Jean Fils-Aimé
gestionnaire de formation,
Pasteur
http://www.lenouvelliste.com/article4.php?newsid=110262

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