Haïti, les temps sont durs : trop durs

Le dilemme haïtien 

L'écart entre riches et pauvres devient symptomatique
Les temps sont durs en Haïti et aucune planification de sortie de la crise n’est ni formuler théoriquement ni coordonner dans le concret. Les mêmes vieux réflexes de «grenadiers à l’assaut», du déboulonnement des gouvernements juste pour «ôte-toi que je m’y mette!» sans que l’intérêt général y soit pour quelque chose. Le dilemme que nous vivons dans cette conjoncture est apparent. D’un côté, l’entêtement de Martelly d’exacerber les conflits par ces attaques verbales, par l’empêchement de la bonne conduite des institutions en louvoyant sur l’organisation des élections, par son intervention dans les affaires des deux autres pouvoirs (législatif et judiciaire) de l’État, dont le but est d’imposer une dictature est inacceptable, car des générations se sont battues et sacrifiées contre l’autocratie ambiante dans la culture haïtienne pour changer la donne. De l’autre côté, l’opposition voudrait, soit par vengeance ou par intérêts mesquins, renverser le président et prendre le pouvoir. Les intolérants d’hier se proclament démocrates aujourd’hui. Après avoir collaboré en catimini avec le pouvoir Tèt Kale, pour une raison ou pour une autre, Lavalas, aujourd’hui, devient l’avant-garde de la bataille contre le gouvernement de Martelly-Lamothe. Une frange importante de la population a un souvenir désagréable du pouvoir anarchro-popiliste de Aristide. Ce dilemme n’est qu’apparent parce que le peuple haïtien ne doit pas choisir entre deux maux organiques, des frères siamois: Lavalas et Tèt Kale, nouvelle version du duvaliérisme Jean-claudiste. L’alternative est la planification de la transition car, de toute façon, Sweet Micky est incorrigible. Il nous en a déjà fait la preuve après plus de deux ans à la tête du pays. Sweet Micky contre T-Vice est le même pattern qu’il nous reproduit. Alors, rien à faire.

MINUSTHA, choléra: la malédiction de nos inconséquences
Je comprends très bien la valse d’hésitation de la population à embarquer dans cette énième aventure politique. Cependant, les temps sont graves. Ne pas s’y impliquer, n’épargnait personne du chaos en devenir, car le deuxième lundi de janvier, les scénari qui nous attendent sont de deux ordres : ou bien Martelly constatera la caducité du parlement, ou bien le sénat décrètera vacance présidentielle. La suite des évènements n’est pas des plus heureuses pour cette grande majorité de la population qui n’a aucun bout à joindre parce que la misère a atteint des proportions intenables. L’internationale se réjouit devant la bêtise à l'haïtienne parce qu’elle viendra avec délectation nous imposer ses solutions de pacotille. Cette fois-ci, ce ne sera plus la MINUSTAH pour nous infester de choléra. La suite fait tressaillir d’une peur obsidionale : devant notre impuissance, nous interpellerons le bon Dieu qui nous a toujours fait la sourde oreille. Prenons dès aujourd’hui le taureau par les cornes en cherchant ensemble les voies et moyens pour ne pas avoir à subir cette dérive douce vers la débâcle de la barque nationale. N’y a-t-il aucune personnalité morale, des sages, dans cette société capable d’amener, à priori, Sweet Micky et, à fortiori, l’opposition dans son élan guerrier à la raison, en les renvoyant dos à dos et lançant les états généraux de la nation pour sortir de cette décrépitude inexorable?

Blocage inextricable

Je sais que cela n’est que des vœux pieux car la réalité sociale, économique et politique ne s’y prête pas à de telles perspectives. Pour faire des compromis, il faut qu’il y ait monnaie d’échange. Dans une société complètement assistée par la communauté internationale, où la fragilité de l’avenir est la règle, un sentiment de mercenariat traverse toutes les couches sociales, les voies et moyens de la résolution de la crise semblent chimériques . Aussi quand on ne produit rien, on a pas le sentiment d’appartenance, ni celui de droit de regard : ce que les sociologues et les économistes appellent respectivement la demande sociale et demande solvable. Les corollaires de l’absence de cette demande se manifestent par les émeutes de la faim, l’insouciance, l’individualisme primaire (l’intérêt collectif n’est pas pris en compte), la désinvolture, l’inconséquence, l’irresponsabilité, et aussi l’irrationalité. La misère généralisée n’est pas que matérielle mais aussi intellectuelle. Elle se traduit dans ce cas, par le pullulement d’universités de pacotille, comme il en était déjà le cas aux niveaux secondaire et primaire; par la médiocrité des dirigeants qui se répercutent dans la planification sociétale : les renvois de l’ouverture des classes deux années consécutives témoignent de cet état de fait. Du côté de la société civile, des partis politiques, des groupes sociaux aux structures anti démocratiques : les dirigeants sont amovibles depuis plus de vingt cinq ans, dans la grande majorité des cas.

Le prix de la pagaille dans les esprits

Martelly, Mirlande Manigat, Jude Célestin: les protagonistes des élections présidentielles de 2010
 L’élection de Martelly a été le résultat du crétinisme de l’Alternative, regroupant la Fusion des sociaux démocrates, le Kid et L’OPL, aussi bien que la multitude de chapelles politiques improductives : les partis politiques sont à l’image des universités, des écoles secondaire et primaire de pacotille, communément appelées dans le langage haïtien «borlette». Pour l'OPL, on doit leur donner un peu de crédit car, même en boycottant les élections officiellement, ils ont officieusement briguer les sièges au parlement.

C’est dans cet univers complexe et compliqué que se joue le drame haïtien. L’État se réduit au président. Le président se réduit au caprice de la communauté internationale. Les solutions ne sont pas simples, mais elles sont possibles si on sait cultiver la patience et la rigueur. Tout cela serait possible que si la pensée haïtienne devenait procédurale au lieu d’être déclarative. Ce ne serait pas par baguette magique que cela deviendrait possible. Donc, la route est longue. Très longue. La programmation de la sortie haïtienne de la crise doit être pensée par des gens compétents dans une démarche démocratique. Dans cette perspective, il faudrait qu’à l’intérieur des élites, qui sont dotées de la pensée procédurale, que des gens se mouillent et commencent à inculquer aux gens qu’il y a tout un monde de différence entre les questions mystiques et sociales : un problème sociologique doit être résolu en prenant les moyens pratiques et viables mais pas par la prière. Les questions de foi ne concernent que la vie privée de chaque individu. Les questions sociétales se posent et se résolvent par la rigueur scientifique par des spécialistes. Le sentiment religieux est fataliste : l’attentisme, la résignation tuent aussi bien l’initiative individuelle que collective. Il faudrait habituer les gens à valoriser la compétence à la rhétorique démagogique.

La récolte de l'inconséquence est amère


Doigt d'honneur de Martelly aux parlementaires en exhibant son passeport sur la question de sa citoyenneté douteuse
C’est ainsi donc qu’il ne faut ni accepter les dérives de Martelly ni son inéluctable course vers l’abime qui emportera le pays vers le chaos, dont la communauté internationale sera la seule bénéficiaire. Il ne faut pas rester les bras croisés à attendre la crise annoncée ou dans l’expectative d’une solution providentielle, il faut influer sur son cours en exigeant aux politiques des propositions avec un agenda clair et précis à la suite du pouvoir d’apprentis-sorciers à la Martelly-Lamothe. Autrement, on est condamné à vivre le même sort qui nous poursuit depuis plus de deux cents ans : soit la valse des coups d’état ou de force pour des intérêts mesquins, dont les plus faibles ne font que payer les frais, et le pays en pâtit.

Virer la barque nationale de bord concerne les expatriés haïtiens partout dans le monde. Nous reproduisons à l’extérieur du pays les mêmes patterns improductifs qui nous affaiblissent encore davantage. Aucune des communautés haïtiennes à l’extérieur du pays ne peut se targuer d’être organisée. Nous sommes doublement des brebis égarées : les représentations diplomatiques ne nous soutiennent pas et dans les communautés même les fractures coloriste, sociale, économique et politique de la terre natale s’y reproduisent. L’absence d’organismes communautaires qui créeront la cohésion intra communautaire est ce même talon d’Achille qui empêche à la mère patrie de sortir de sa léthargie proverbiale. Les initiatives économiques sont minables parce que notre incapacité à faire de la délégation de pouvoir ou de responsabilité notre crédo freine notre vision de grandeur : de petits marchés d’alimentation par-ci par-là. Point! Se mettre ensemble pour faire quelque de grand, de beau nous fait frémir. On retrouve cette même phobie dans toutes les sphères de la vie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. A force de pratiquer l’amateurisme comme méthode de vie, nous ne faisons que subir les évènements : nous réagissons aux dérives de Martelly, à la folie raciste de la République dominicaine à vouloir enlever la nationalité dominicaine à des descendants d’Haïtiens; nous subissons l’envahissement des produits dominicains par insouciance patriotique, et j’en passe.

Moise Jean Charles, sénateur anti-Martelly
La crise qui s’annonce inéluctable doit être abordée de façon nouvelle si nous voulons vraiment donner un ultime élan à la patrie commune. L’intérêt suprême d’Haïti doit passer outre la mesquinerie individuelle ou corporative. Si tous les citoyens s’impliquaient dans le débat en exigeant le respect scrupuleux de certains principes démocratiques comme le respect de la constitution, donc le fonctionnement des institutions suivant les règles démocratiques émanant de la loi mère, ni l’exécutif ni le législatif, voire l’opposition, ne pourrait nous amener à la dérive. Un peuple décidé avec des idées claires sur la marche des affaires d’un pays est invincible. La détermination et la foi dans la justesse de ses vues ne sauraient être vaincues. Ne soyez pas passifs à la conjoncture difficile qui se dessine, prenez le mal à deux bras et influez sur le cours fatal de la nation. La seule solution est la convocation des états généraux de la nation pour un contrat social pour la nouvelle Haïti.

Ernst Jean Poitevien

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