vendredi 3 avril 2015

Pour une Nouvelle Haïti : une lutte contre nous-mêmes

Comprendre l'intolérance viscérale aux opinions contraires


Jean Dominique sous le regard d'Aristide: un montage suggestif
Pour remémorer le quinzième anniversaire de la mort de Jean Dominique, je tiens à partager avec vous un texte que j'ai publié sur ma page Facebook le 20 février 2015. Ce texte rappelle la clairvoyance intellectuelle de l'un des plus grands journalistes haïtiens de la fin du 20e siècle. Jean Do est l'un des intellectuels organiques par excellence de la société haïtienne qui rejoignait sa pensée politique à la praxis. Allié de la cause des opprimés sous le régime de Duvalier, il a su conscientiser tous les laisser-pour-comptes qu'une Nouvelle Haïti était possible et il en a fait son sacerdoce. Il n'était pas seulement l'ennemi d'un régime mais de toute une mentalité incrustée, ancrée dans la société haïtienne,donc un système archaïque..

Jean-Anil Louis-Juste, assassiné quelques heures avant le séisme de 2010
Si son assassinat a été perpétré par des gens clairement identifiés, mais, inconsciemment ou consciemment, ces gens sont les suppôts d'une culture d'intolérance, d'une conception primaire de l'oligarchie haïtienne et de l'élite en générale, d'un individualiste sectaire et étroit. Jean Anil Louis-Juste, tué le jour même du séisme du 12 janvier 2010, aussi peut être considéré comme victime de l'intolérance, du refus de la divergence d'opinions, du refus de la pensée monolithique, nous a rappelé la profondeur du mal que nous a inoculé notre système d'éducation. Il est dans la droite ligne de la mission d'évangélisation des sauvages des églises chrétiennes. 1804, la plus grande révolution des temps modernes, a été trahie par nos élites en la personne de Fabre Nicolas Geffrard par le Concordat de 1860. Ces élites nous ont remis en esclavage, cette fois-ci de gré. Comme le dit si bien le Professeur Jn Anil Louis_juste :

A propos, il semble qu’aucun éducateur haïtien n’ait encore posé la question de l’inexistence de lien axiologique entre l’école et la famille en Haïti. Pourquoi la très forte culture de solidarité qui caractérise la famille haïtienne, n’a pas influé sur le mode d’évaluation pratiqué à l’école, par exemple ? Comment des élites intellectuelles continuent-elles à êtres solidaires dans la vie familiale et égoïstes dans le vie publique ? Quelles sont les possibilités de communication horizontale entre l’école et la famille en Haïti ? Seulement, nous savons que la pratique sociale assimilant le voisinage à la famille, reste l’expression la plus significative de la solidarité dans le monde haïtien. L’être de l’Haïtien et son devenir-être devaient être formés dans la valeur de la solidarité. Selon Leal, il n’est pas possible de penser les êtres humains même loin de l’éthique, encore moins, hors de celle-ci. http://www.alterpresse.org/spip.php?article1323#.VR7_LZOo_IX

La crise intellectuelle

On comprend mieux par cette citation, toute la cassure, toute la division, tout cet apartheid social, politique, économique et culturel. Alors la modernité, sans résoudre l'essentiel des problèmes qui traversent la société haïtienne, ne serait que de la rhétorique, donc chimérique. Permets-moi une dernière citation de Jn Anil Louis-Juste :

L’économie ne se développe pas hors de la culture qui produit les instruments de travail, mais la culture est impensable sans la satisfaction des besoins matériels de l’homme-projet. La politique, c’est cette forme de communication entre l’économique et le culturel, qui harmonise les échanges nécessaires dans le monde des hommes. Les chefs de la Révolution de 1791 avaient, par contre, fondé l’équilibre interne des nouveaux et anciens libres sur la domination des grandons et commerçants compradores d’Haïti. http://www.alterpresse.org/spip.php?article1323#.VR7_LZOo_IX
Haïti est une société fondée sur la base d'une idéologie anti-moderniste par le refus de créer des liens émotives sur la base de la culture de la vaste majorité des habitants. L'école haïtienne a pour mission de faire de l'être sa propre force de destruction. Quand on a fréquenté l'école haïtienne, on devient fossoyeur du pays parce que l'école nous enseigne à détruire ce que nous sommes en termes intangibles, en termes de culture en général et, par voie de conséquence, notre espace vital, la nation en devenir hypothéqué.C'est le fait d'oublier trop souvent ou d'ignorer ce fait capital que l'école ne transmet pas uniquement des connaissances mais aussi des valeurs, des émotions, donc une conception du monde, qui empêche de comprendre et résoudre la crise haïtienne dans sa longue durée relative, soit depuis l'indépendance. C'est l'articulation entre la raison et une certaine vision du monde qui donne à l'école son rôle émancipateur. Sinon elle ne vaut rien. Si elle continue à exister en dépit de son inutilité dans ce cadre unique, c'est qu'elle est aussi pauvre que la pauvreté qu'elle produit. Car un système d'éducation n'existe que pour répondre aux problématiques de l'heure et de devenir de l'entité nationale.


Un échantillon d'exception : conviction idéologique  


Jean Dominique, assasiné en 2000Ces quelques opinions de Jean Léopold Dominique(Jan Do), l'un des intellectuels des plus brillants après Anténor Firmin, Edmond Paul, Jacques Roumain, Jacques S. Alexis et Georges Anglade, sur la petite intellectualité haïtienne dans le livre Haiti Elections 1990 : quelle démocratie? s'arriment bien avec la source du mal haïtien évoqué ci-haut, la source du mal même. Elles concordent bien avec la réflexion de Jn Anil Louis_juste.

«Dans les années 60-70, des intellectuels petits-bourgeois ont fantasmé sur l'Artibonite, «Sierra Maestra de notre révolution». Mais l'intellectuel petit-bourgeois n'a-t-il pas pour fonction principale de fantasmer en Haiti ?» J'ajouterais qu'il n'est qu'un sophiste sans esprit critique, voir incapable d'être créatif. Il pratique le psittacisme, c'est un perroquet qui récite sans comprendre.



Une analyse sans compromis :Profonde

Une autre flèche subtile de Jan Do : « Qu'il s'agisse de réforme agraire dont nos universitaires se gargarisent, de développement agricole, tarte à la crème(point de vue banal, divagation NDR) d'académiciens, d'érosion, sur laquelle tant de bonnes âmes se lamentent, de Péligre, des coupures de courants, quand on gratte les problèmes, quand on fouille cette question agraire, on trouve le pilier central du système d'extorsion et de répression à la campagne. Le chef de section...» Au fait, l'intellectuel haïtien parle en général pour ne rien dire, sauf à faire de la poésie à rabais, l'utilisation de clichés à profusion. Il ne s'intéresse pas à une sortie théorique de l'impasse mais à épater son entourage de ses connaissances livresques. Nul en pratique.

Encore Jan Do : « Cette structure absurde ( le chef de section NDR) nous conduit à un abîme, mais nous ne trouvons pas le point d'appui pour la casser, le point sensible pour la désarticuler. Est-ce que nous manquons de l'imagination?» Évident Jan Do. Si tu étais encore vivant, tu verrais que le pays est tombé dans les mains d'un strip-teaser au nom de Sweet Micky. Aussi Kplim est devenu son homme de paille en compagnie de Victor Benoit. T'as encore rien vu Jan Do: Moise Jean Charles serait candidat au poste de président pour les prochaines élections. Le pays n'est-il pas dans kawka pour l'éternité?!

Une autre fulgurante force de réflexion de Jan Do :« [...] je citerais volontiers un spécialiste qui me mettait en garde contre ceux qui prônent le reboisement aujourd'hui. Ils préparent, dit-il, de nouvelles jachères. La solution à l'érosion n'est donc pas le reboisement. Planter des arbres aujourd'hui n'est pas la question essentielle. Il faut déchouker la structure répressive et spoliatrice, qui elle, est responsable de l'érosion des sols, de l'érosion de la production. Mais ce grand projet, car il est immense, grandiose, ne pourra se réaliser que par toutes petites étapes... Une prise de pouvoir progressive et partielle...»

La compréhension de la problématique haïtienne dans ses tripes peut expliquer le fait que Jan Do ait été éradiqué de la carte d'Haiti. En tout cas, pour l'essentiel.Ces quelques idées forces développées sont les préludes à la rédaction prochainement de l'article : grammaire de la pensée philosophique de l'intellectuel haïtien...

Ernst Jean Poitevien

Toutes les citations de Jean Dominique sont prises dans : Haïti, quelle démocratie? Les élections générales de 1990, ouvrages collectifs de Haiti Solidarité Internationale(HSI)
http://haiti-tribune.blogspot.com/2014/11/blocage-inextricable-et-malsain.html
http://haiti-tribune.blogspot.com/2014/05/haiti-des-elites-malades-de-leur-culture.html
http://haiti-tribune.blogspot.com/2014/12/la-maladie-sociale-commence-par-la-tete.html

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