Grammaire de la pensée philosophique haïtienne (1 de 5)
Dans ce qui arrive dans la vie d'un individu ou d'une nation, il n'y a
point de fatalité. On récolte en grande partie ce qu'on a semé.
Des impondérables peuvent bien aggraver ou améliorer les résultats,
mais notre contribution à l'échec ou au succès dans tous les cas
nous est imputable. Dans le cas d'une nation, les résultats ne nous
sont que plus imputables parce que cela concerne un corps social dans
sa diversité, dans la pluralité d'état d'esprit ou d'état d'âme
qui peut obvier certaines dérives, certaines omissions, certains
manquements, etc. La direction que prend une nation exprime la
quintessence de la nation prise dans son intellect commun,
c'est-à-dire le niveau intellectuel de ses membres ou plus
précisément l'éducation cognitive de son cerveau. Le hasard
n'existe pas dans l'itinéraire d'un individu, et encore moins dans
la vie d'une nation; la contingence, certes, dans la mesure où les
actions initiées, peuvent ne pas donner à la lettre les résultats
escomptés dans sa totalité, mais ne seront sans influencer le
devenir de cet individu ou entité politique.
Nous croyons qu'il n'est pas futile de remonter à la création de ce pays pour comprendre la provenance de nos blocages d'aujourd'hui. L'historiographie traditionnelle haïtienne, à part notre système d'éducation, constitue l'une des freins à la sortie de notre improductivité proverbiale. Entre autres, l'idée que la révolution de 1804 a été le produit de la religion vaudou ou bien que la rupture avec la France était un acte conscient, c'est-à-dire qu'à part le refus de rester dans les chaînes de l'esclavage, nous avions rejeté la France dans son entièreté. Aussi bien la déclaration de l'indépendance démontre clairement qu'on singeait l'ancienne métropole à rebours : Elle est notre point focal, le confins de notre intellect. Pour faire court afin d'illustrer l'attachement de notre élite à la France: n'avait-elle pas opposé aux États-Unis lors de l'occupation de 1915 la culture française comme arme d'opposition à la culture étatsunienne? L'école indigéniste ne se situe-t-elle pas dans cette même mouvance? N'est-elle pas un mouvement littéraire en réaction à la vassalisation intellectuelle des mouvements littéraires précédents? L'ambivalence culturelle est donc profonde et perverse. Elle est mortifère.
L'improductivité historique de l'intellect
Donc,
une grammaire de la pensée philosophique haïtienne vise à faire
ressortir l'inconscient collectif dans l'approche des problèmes du
pays. Depuis presque cinq ans, nous nous questionnons sur cette
dérive abyssale et amère de l'entité politique haïtienne et avons
mis la main sur plusieurs problèmes clés liés organiquement, dont
un système d'éducation qui renforce notre carcan mental, la
victimisation face à l'Occident, la rhétorique nationaliste et une historiographie complètement saugrenue. Nous
pouvons les appeler le syndrome de l'autruche: cette faculté de
mettre sur le dos d'autrui les causes de nos malheurs, pour faire un
coup d’œil à Louis Joseph Janvier, l'intellectuel par excellence
de la fuite en avant lorsqu'il déclarait dans l'un de ses ouvrages
que le vaudou n'existe plus en Haïti et d'autres conneries de ce
genre. Et pourtant c'est l'intellectuel haïtien qui amassait le plus
de diplômes au 19è siècle en France, et toujours avec mention!
Nous croyons qu'il n'est pas futile de remonter à la création de ce pays pour comprendre la provenance de nos blocages d'aujourd'hui. L'historiographie traditionnelle haïtienne, à part notre système d'éducation, constitue l'une des freins à la sortie de notre improductivité proverbiale. Entre autres, l'idée que la révolution de 1804 a été le produit de la religion vaudou ou bien que la rupture avec la France était un acte conscient, c'est-à-dire qu'à part le refus de rester dans les chaînes de l'esclavage, nous avions rejeté la France dans son entièreté. Aussi bien la déclaration de l'indépendance démontre clairement qu'on singeait l'ancienne métropole à rebours : Elle est notre point focal, le confins de notre intellect. Pour faire court afin d'illustrer l'attachement de notre élite à la France: n'avait-elle pas opposé aux États-Unis lors de l'occupation de 1915 la culture française comme arme d'opposition à la culture étatsunienne? L'école indigéniste ne se situe-t-elle pas dans cette même mouvance? N'est-elle pas un mouvement littéraire en réaction à la vassalisation intellectuelle des mouvements littéraires précédents? L'ambivalence culturelle est donc profonde et perverse. Elle est mortifère.
Du
système d'éducation
A
chaque fois que nous parlons de l'inadaptation du système
d'éducation, beaucoup de gens voient le problème comme la
prolifération des Écoles-Borlettes qui ont connu une croissance
vertigineuse depuis les cinquante dernières années. Mais des écoles
inadaptées à la réalité haïtienne, une école qui produit une
élite parasitaire n'est-elle pas aussi une École-Borlette? Dans ce
dernier sens, pour nous, cela remonte aux alentours de 1860, si on se
fie à un article écrit dans la Revue d'Histoire et de Géographie
par Catts Pressoir en 1932. Sans reprendre toutes les précieuses
informations de cette étude, il nous paraît important de noter une
cassure nette avec la période pré-concordataire par ce qu'elle a
de pernicieuse à l’éducabilité cognitive à forte teneur
religieuse dans le psychique de l'Haïtien, donc l’annihilation de
toute pensée scientifique.
Avec le Concordat(1860, NDR), affirme Catts Pression, un trouble profond se produit dans la vie nationale par la création d'un enseignement étranger, congréganiste et
ultramontain. (sic)(p.48)
Dire
ultramontain, c'est parler d'un ordre religieux complètement
rétrograde à l'époque qui conditionnait la pensée au dogme de la
religion catholique et le refus de toute modernité. Au Québec, cet
ordre religieux a maintenu longtemps cette société dans la
noirceur. On comprend aussi la position de l'auteur en faveur des
écoles lancastériennes ou monitoriales. A la différence, le
pragmatisme anglo-saxon ne bannissait pas l'approche scientifique
même quand les écoles étaient muées par l'idéal religieux.
L'auteur note à juste titre le déclin des écoles laïques. Aussi,
la primauté accordée à l'enseignement des lettres qu'à l'étude
des sciences, dont le collège Bird fut un pionnier à son début
avec le professeur Toase par ses prestations grand public
d'expériences de physique et de chimie. Mais cela a existé l'espace
d'un cillement. Pas très long feu. Bien sûr l'école haïtienne
donnait autrefois une solide formation classique mais sans jamais
développer le sens critique des gens éduqués ou l'épanouissement
sans des préconçus érigés en dogmes ; les connaissances sont
taillées sur mesures et immuables.
Dans
un autre ordre d'idées, on a vu des dépenses extraordinaires dans
l'enseignement technique que pendant l'occupation américaine. Cet
apport technique de l'enseignement avait soulevé l'ire de toutes nos
élites et le Clergé bien-pensants. La formidable grève de Damiens,
en droite ligne contre cette approche américaine. Ils ont opposé
les Belles Lettres qu'au lait à boire, à la nourriture à faire
pousser, aux connaissances techniques à apprivoiser... Il y a quatre
observations qu'on peut tirer de la réflexion de Catts Pressoir:
1)
des mesures juridiques ont été prises pour rendre l'éducation
accessible à tous mais le plus souvent mortes au feuilleton;
2)
la préférence de l'État haïtien aux écoles congréganistes au
détriment des écoles laïques est sans appel;
3)
l'école a pour but premier d'évangéliser les enfants haïtiens.
Point boule.
4)
Lors de l'occupation américaine le clergé catholique était sur la
ligne de front des contestataires de la vision éducative américaine
par la création d'écoles techniques liées à la production
nationale. L'école d'agronomie en est un exemple probant.
L'école traditionnelle et ses conséquences
Peu
importe l'époque prise en compte, l'école haïtienne a toujours
produit des cerveaux avec la tête dans les nuages, loin des
questions de connaissances fondamentales, telles des connaissances
techniques et scientifique de base : même après avoir terminé des
études secondaires, voire universitaire, le lettré acceptait des
sornettes de la croyance populaire qu'on pouvait faire descendre une
étoile pour en tirer des numéros de loterie; que la prière
aiderait à réussir aux examens, etc.. Lors de l'éclipse solaire
de la fin des années 80, le monde se terrait chez eux pour ne pas perdre la
vue selon leur compréhension mystique de ce phénomène. Somme
toute, il ne faut pas être dupe, le système éducatif est en
symbiose avec la société en générale : au niveau de la production
des biens matériels, l'économie n'en est que de grappillage; le
paysan parcellaire portait
le
fardeau de la nation par l'extorsion de
la plus-value allant
du spéculateur ou du «grandon» jusqu'à l'exportateur. Qui dit une
économie basée sur la parcellarisation de la terre, sous entend une
production où l'absence de technique agricole est patente. Alors,
que faire d'une éducation scientifique!
Bien
sûr, depuis la prise du pouvoir par François Duvalier en 1957 à
nos jours, les choses se sont détériorées à un rythme
exponentiel. Jusque dans les années 80, un maçon était capable de
monter un mur rectiligne. Aujourd'hui, il est monnaie courante de
voir des murs de maisons tout crochus. Les notions de mesures sont
absentes aujourd'hui de beaucoup de nos gens de métier. Néanmoins,
le problème du développement de l'éducabilité cognitive reste
entier. Les cinq sens ne sont pas développés. Le sens le plus
développé est l’ouïe parce que la pédagogie haïtienne est axée
sur la prestation du maître qui fait son show en avant de la classe.
Donc les cerveau limbique(affectif, mémoire à long terme, la
confiance, la peur, l'assurance ou non), néocortical(faire des
liens, la transversalité des connaissances, donc le réinvestissement
des acquis dans d'autres circonstances, etc.) sont peu développé dans la transmission
des savoirs, mais le
reptilien(conformisme : réflexe, instinct, stéréotype, préjugé,
mémoire à court terme) est renforcé à souhait. Quand au savoir-faire, il est totalement absent dans le
cursus de l'école. On forme des perroquets qui répètent sans
comprendre, appelé élégamment psittacisme. A l'age adulte, peu de
gens se libèrent de cet abrutissement : il n'est pas étonnant que
quelqu'un après avoir cité un auteur de renom s'attend à ce que la
discussion soit close. Donc, la réalité doit se conformer à la
théorie, si elle s'entête, c'est elle qui est fautive
mais pas la théorie ou la citation. Dernièrement, un porte-parole
de l'ex premier ministre Lamothe, de surcroît professeur universitaire, se
promenait avec ses livres de droit pour clouer le bec à ses
détracteurs. Comme quoi la dynamique sociale est assujettie à ce
qu'on trouve dans les livres. Quelle misère intellectuelle!
Manifestations sociétales du système d'éducation
Je
me suis surpris à reproduire les mêmes schèmes de pensée que je
critique depuis bientôt cinq ans. Il est monnaie courante que les
analyses de la société restent au niveau de l'émotion : on
fustige, on sermonne, on pourfend, etc. Cette attitude se manifeste
par : il faut que les élites se mettent à la hauteur, la
bourgeoisie haïtienne doit jouer son rôle, il faut sortir les gens
de la misère, etc. Depuis les Edmond Paul, Antenor Firmin et la
vocation de l'élite de Price Mars qu'avons-nous fait pour que nos
vœux deviennent réalité? Force est de constater que ces
phraséologies servent bien souvent à la posture patriotique mais au
comportement de chiens couchants. Il n'est pas rare de retrouver ces
critiques acerbes de nos pratiques délétères occupent les allées
du pouvoir et consolident ces pratiques. Par ailleurs, on retrouve
des gens bien intentionnés mais qui s'attendent que leur verbe
galvanise le peuple qui fera le changement par je ne sais comment,
une sorte de deus ex machina. Un miracle quoi! Cette conception est
l'expression même d'une éducation purement littéraire, donc de
l'absence de la pensée procédurale qui consiste à planifier les
étapes de réalisation d'un projet ou de la résolution d'un
problème.
Dans
le domaine de la production intellectuelle, particulièrement en
histoire, les absurdités pleuvent et la paresse intellectuelle
s'étalent nûment. Première observation : on ne va pas au-delà
des pionniers de notre histoire, tels Thomas Madiou et Beaubrun
Ardouin. Les recherches archivistiques sont quasiment nuls; les
sources documentaires sont inexploitées et explorées. Quand on
regarde les écrits des écrivains haïtiens, à part les historiens
pionniers haïtiens, on cite les monographies de l'Abbé Raynald,
Victor schoelcher et, très peu, Moreau de Saint-Méry mais presque
nullement ses fonds archivistiques. Michel-Rolph trouillot a noté,
avec justesse, cette faiblesse qui tourne autour de phraséologies
sentimentales que de recherches sérieuses dans son Silencing the
Past : Power and production of History. Dans cette même veine, nous
sommes tombé sur un texte de François Blancpain qui prouve avec
document historique à l'appui l'inexistence de cette
assertion de la division de l'Île d’Haïti par le traité de
Ryswick.
Ernst Jean Poitevien
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